OGM et dérives médiatiques : une apothéose !

Des additifs, à partir du 17 octobre 2012, se trouvent en fin de texte.

Depuis le jeudi 20 septembre 2012, personne n’a pu échapper à l’incroyable ramdam médiatique qui a accompagné la publication d’une étude du laboratoire de Gilles-Eric Séralini, de l’université de Caen. Ce travail concerne un maïs OGM, qui se serait avéré très toxique chez les rats lors de tests à long terme (deux ans). Le Nouvel Observateur du 20 septembre a publié un dossier titré : « Oui, les OGM sont des poisons » et son contenu a été relayé par pratiquement tous les media, journaux et radio, sans aucune précaution et avec une surenchère de titres plus accrocheurs et plus passionnels les uns que les autres. Même le gouvernement a cru bon de participer à ce tsunami médiatique en s’empressant immédiatement d’annoncer qu’il demanderait le renforcement des examens concernant les OGM !

Une première remarque : une seule lignée de maïs OGM a été testée, le NK603 de Monsanto, mais tous les commentaires généralisent et parlent des OGM. C’est absurde puisque chaque lignée transgénique est un cas particulier. Cette généralisation montre bien, une fois de plus, que les plantes GM sont l’objet d’une vision superstitieuse, portant sur la technologie de transgenèse elle-même. Vision de gens qui oublient que tous les êtres vivants, des plus simples aux plus complexes, sont l’aboutissement d’un processus évolutif de près de 4 milliards d’années, où sont intervenus en permanence tous les mécanismes possibles de variation génétique : mutations, recombinaisons, mais aussi transgenèses et donc que tous les êtres vivants de la planète sont des OGM, humains compris bien sûr.
Quel est, plus précisément, le point central de ce thriller scientifique ?
Actuellement, les organismes publics qui expertisent les OGM avant autorisation de mise sur le marché, l’ANSES pour la France, l’EFSA pour l’Europe, estiment que des tests de toxicologie sur des rongeurs d’une durée de trois mois sont suffisants pour tester l’éventuelle toxicité des plantes GM. Cette règle existait d’ailleurs bien avant l’existence de la transgenèse et s’appuyait sur le fait que les tests à plus long-terme, réalisés dans certains cas, n’apportaient rien de plus. Les opposants aux OGM estiment que ce délai n’est pas suffisant et réclament depuis toujours des tests à deux ans.
Suite à une déclaration de G-E Séralini lors d’une conférence de presse, ou à une déformation de ses déclarations (difficile de trancher !), tous les journalistes ont dit et écrit que l’étude de son équipe serait la première au monde, toutes plantes GM confondues, portant sur des tests de longue durée. Affirmation aussitôt reprise à satiété et sans aucune réserve, par toutes les organisations et personnalités traditionnellement opposées aux OGM, trop heureuses de l’aubaine.

Dans une interview au Nouvel Obs, G-E Séralini lui-même va jusqu’à mettre gravement en cause les experts des commissions et organismes de contrôle des OGM, en les accusant soit  d’inconscience, soit de négligence, de lâcheté, voire de « collusion criminelle » avec le monde industriel. Il se demande même si certains experts des organismes d’autorisation ne se seraient pas opposés aux tests de plus de trois mois parce qu’ils savaient qu’au-delà de ce délai les résultats seraient très mauvais ! L’accusation est extrêmement grave ; en matière de diffamation, le personnage ne fait pas dans la dentelle ! Et comme sa déclaration porte sur toutes les plantes GM en général, elle conforte les gens dans l’idée que des tests supérieurs à 3 mois n’ont jamais été faits, sur aucune lignée transgénique mise dans le commerce.

Il n’est pas de ma compétence de porter un jugement sur la validité des expériences de ce groupe de chercheurs. Tester la toxicité éventuelle d’un aliment est une opération délicate. Cela nécessite des protocoles expérimentaux extrêmement spécialisés, définis après de longs débats par des règles internationales codifiées dans des textes de l’OCDE. Les industriels qui veulent faire homologuer leurs lignées transgéniques doivent faire réaliser des tests par des laboratoires ayant reçu un label de « Bonnes Pratiques de Laboratoire » ( GLP en anglais ). Pour les plantes GM,  aucun laboratoire public ne possède ce label en France actuellement. Pour en savoir plus sur la validité de ces expériences, il faudra donc attendre que les organismes compétents étudient les travaux de l’équipe de Séralini et se prononcent, ce qui demandera peut-être un certain délai.

Ici, je me propose simplement de soulever deux points touchant plutôt à la déontologie de l’information et de la recherche.

Le premier point concerne justement l’affirmation que l’étude de Séralini et coll. est la première au monde qui porte sur le long terme, tous OGM confondus. Elle est tout simplement fausse !

Une revue de synthèse a notamment  été publiée en mars-avril 2012 dans le même journal spécialisé ( Food and Chemical Toxicology ) que l’article de Séralini. Cet article passe en revue 24 études publiées entre 2002 et 2010 par des laboratoires publics de recherche dans plusieurs pays. Douze études portent sur des animaux nourris avec des plantes GM pendant des périodes allant de 6 mois à 2 ans, les 12 autres concernent des études sur plusieurs générations successives. Les espèces animales utilisées sont nombreuses : rats, souris, vaches, cochons, chèvres, poulets, …. Les plantes GM testées sont diverses (maïs, soja, riz, …), certaines produisent l’insecticide biologique BT, d’autres sont tolérantes au glyphosate (roundup). Dans l’article de l’équipe Séralini, cette revue de synthèse est mentionnée, mais sur les 24 publications qu’elle analyse,  3 seulement sont citées (encore s’agit-il d’études d’une même équipe dont la responsable est co-signataire de l’article). Le contenu de la revue est évacué en 2 phrases et les conclusions de ses auteurs ne sont même pas mentionnées ; c’est pour le moins surprenant !  Résumons-les donc ici.

Après comparaison de ces résultats à moyen et long terme avec d’autres tests sur 3 mois obtenus par d’autres laboratoires sur des plantes GM identiques, les auteurs de cette revue de synthèse tirent deux conclusions :

1) Les études sur des périodes de 6 à 2 ans n’apportent rien de plus que celles faites pendant 3 mois, ce qui conforte les règles adoptées par les organismes de contrôle. Les auteurs de cette revue précisent que les tests sur des périodes plus longues ne se justifient que si les tests à 3 mois donnent des résultats douteux.

2) L’ensemble des données indique, une fois de plus, qu’il n’y a aucun argument scientifique permettant de penser que les PGM testées, dont certains sont déjà dans le commerce depuis une quinzaine d’années, présentent un risque sanitaire quelconque.

Pour ne pas rester sur des considérations trop générales, je résume très rapidement l’une des études qui me paraît particulièrement intéressante parce qu’elle combine à la fois des tests sur le long terme et sur plusieurs générations et qu’elle respecte les protocoles définis par l’OCDE. Il s’agit d’un travail publié en 2009 par une équipe d’un institut national japonais sur le maïs Bt11 de Novartis et réalisé sur des souris. Les chercheurs ont nourri ces animaux pendant 5 générations et la troisième génération a été utilisée pour faire une étude de longévité sur 3 ans complétée par des études tumorales.

Aucune différence n’a été observée entre les lots traités et les lots témoins, ni pour la longévité, ni pour la capacité de reproduction, ni pour le nombre de tumeurs. A noter que chaque lot (traités et témoins) comportait 45 individus, au lieu de 10 dans les expériences de Séralini et coll., ce qui est absolument insuffisant pour ce type d’étude et non conforme aux règles de l’OCDE.

Il est contraire à l’éthique de la recherche que de telles expériences (car il y en a d’autres) soient passées sous silence dans la publication de l’équipe de Seralini. On peut, au minimum, s’interroger  sur les véritables motivations de cet « oubli ». Surtout après l’extraordinaire scénario médiatique qui a présidé à la parution de l’article.

Le second point que je veux soulever touche justement à cette manipulation médiatique. Beaucoup de gens dans la communauté des chercheurs en ont été très choqués. Des journalistes scientifiques eux-mêmes s’en sont émus car les choses ont été organisées de telle façon qu’il leur a été impossible de consulter des scientifiques compétents avant la conférence de presse ( écouter France-inter, émission de 7h à 9 h, du 26 septembre ).

En soit, ce type de procédé est déjà en rupture totale avec les règles de la profession et dessert considérablement l’image de la recherche, mise au rang de vulgaire marchandise. Mais l’étonnement grandit d’un cran quand on apprend que cette médiatisation coïncide avec la parution d’un livre de G.-E. Séralini et la sortie d’un film réalisé à partir de ce livre, ainsi que la parution d’un livre de Corinne Lepage, (présidente du CRIIGEN dont Seralini fait partie).  Enfin, la dernière surprise, et non la moindre (last but not least, disent les anglais), est de voir dans certains journaux du 22 septembre, soit deux jours seulement après le grand « scoop », une page entière de publicité de Carrefour, entièrement ciblée sur le non-OGM. Or cette firme est l’une des sociétés, avec Auchan, qui ont financé cette expérience, qui a coûté plus de 3 millions d’euros !!

Voilà une opération de « com » de haute volée, pilotée par une agence spécialisée ( LP Conseils ) qui a supervisé toute l’opération dans les moindres détails aux dires de certains journalistes  (Arrêt sur Images). Rien n’a été laissé au hasard et des quantités de gens doivent y trouver leur compte, au sens propre du terme ! Mais que reste-t-il dans tout ça de l’éthique de la recherche et de sa crédibilité vis à vis du public ?

Attendons maintenant les conclusions scientifiques des instances compétentes. Le délai nécessaire pour qu’elles se prononcent sur le fond de ce travail sera peut-être long, d’autant plus que G-E Séralini refuse de transmettre les données expérimentales à l’EFSA. ! Entre-temps, les effets négatifs de cette délirante campagne auront fait leur chemin dans les têtes et même si ce travail était par la suite invalidé (comme le laissent augurer les premières réactions de toxicologues de plusieurs pays), des inquiétudes irréversibles auront été créées. Mais c’est-ce justement le résultat recherché par ce type d’opération.

 

Premier additif (le 17 octobre 2012)

Voilà un mois qu’a été lancée la grande opération médiatique de G.-E.Séralini et du CRIIGEN sur le maïs NK603. Depuis, les réactions, individuelles et collectives, se sont multipliées, essayons de faire le point.

Sur le plan déontologique : ces réactions sont multiples. Elles viennent aussi bien de chercheurs que de journalistes scientifiques, ces derniers considèrent qu’eux aussi ont été manipulés dans une opération qui est aux antipodes de l’éthique aussi bien scientifique que journalistique.

– A ce jour, plus de deux cent vingt chercheurs français ont signé une pétition lancée le 29 septembre sur le site du CNRS intitulée : « Pour un débat raisonné sur les OGM », dénonçant cette campagne médiatique et proposant une solution pour dépassionner le débat sur les plantes GM. On a le droit de rêver !

Un appel, signé par une cinquantaine de chercheurs INRA, CNRS, INSERM et d’universités de plusieurs pays, dénonce encore plus sévèrement cette manipulation médiatique. Il a été publié le 29 septembre dans le magazine Marianne, sous le titre : « Cette étude doit être considérée plus comme un coup médiatique que comme une révélation de résultats scientifiques ».

– Le Comité d’Éthique du CNRS s’est également exprimé sur les règles déontologiques qui doivent régir les relations entre les chercheurs et les média et regrette qu’elles n’aient pas été respectées dans ce cas-là.

– Du côté des journalistes scientifiques, L’Association des Journalistes Scientifiques de la Presse d’Information (AJSPI) , a publié un communiqué où elle récuse et condamne  « la clause de confidentialité imposée par l’équipe de Gilles-Eric Séralini. Celle-ci consistait à fournir à quelques journalistes sélectionnés l’article sous embargo, en leur réclamant en contrepartie de ne pas recueillir l’avis d’autres scientifiques sur cette étude. Ce qui visait clairement à obtenir une présentation biaisée de cette étude, dénuée de tout regard critique ou simplement compétent ».

– L’European Union of Science Journalist’s Association’ (EUSJA) a également publié un communiqué très dur, où elle parle de scandaleux abus et de manipulation de la presse : « condemns the outrageous abuse of the embargo system that was perpetrated a few days ago to manipulate the press ».

Sur le plan scientifique : après plusieurs commentaires individuels très négatifs de toxicologues, la Société européenne de pathologie toxicologique (ESTP) s’est exprimée officiellement sur ce travail dans une lettre à l’éditeur de « Food and Chemical toxicology ». La conclusion est que la description des pathologies observées et les conclusions des auteurs sont ‘non professionnelles’, qu’il y a des erreurs d’interprétation des tumeurs, un mauvais usage de la terminologie… La dernière phrase est une question : « Quelles sont les raisons scientifiques qui ont conduit les relecteurs et le bureau éditorial de Food and Chemical Toxicology à accepter cet article pour publication ? ». Il n’y a pas eu de réponse  ma connaissance.

Plusieurs  organismes officiels de sécurité des aliments se sont maintenant exprimés sur la validité de cette étude. L’EFSA, dans un examen préliminaire, a donné un avis négatif sur ce travail. De même pour l’agence allemande BfR, l’agence officielle australienne FSANZ et l’agence danoise DTU.

Tous ces organismes demandent à Séralini et coll. de leur fournir toutes les données expérimentales pour pouvoir effectuer une analyse plus complète de cette étude. Séralini s’y refusant, une pétition émanant de la communauté scientifique internationale et signée déjà par plus de 700 chercheurs de 40 pays lui demande instamment de fournir ces données, conformément aux règles en vigueur dans la recherche scientifique.

Il est pour le moins surprenant que quelqu’un dont l’une des principales revendications sur les OGM est la transparence totale des dossiers déposés pour évaluation avant mise sur le marché, se refuse à communiquer ses propres résultats expérimentaux aux organismes officiels d’évaluation ! Ce n’est pas la moindre des bizarreries dans une affaire qui en compte beaucoup. Il ne faut alors pas s’étonner si ce refus suscite, dans le milieu scientifique, de sérieuses interrogations sur les conditions dans lesquelles a été réalisé cette étude.

Affaire à suivre !

                                                          Second additif ( le 24 novembre 2012 )

Sans vouloir prolonger indéfiniment une polémique de plus en plus délirante, je voudrais faire une ou deux remarques qui peuvent permettre à un non-scientifique (mais aussi à certains scientifiques semble-t-il !) de mieux comprendre pourquoi la publication de G-E. Séralini et al. a été accueilli par une avalanche de critiques de la part des organismes compétents. Je mettrai simplement mettre l’accent sur le problème majeur de cette publication : un choix très sélectif des données expérimentales en vue d’en tirer les conclusions désirées. Cela aboutit évidemment à une forte distorsion entre les résultats expérimentaux et les conclusions, en rupture totale avec la démarche scientifique.

Prenons l’exemple de la mortalité, durant la durée de l’expérience, des rats du lot contrôle et des lots nourris avec le maïs OGM. Les auteurs de l’article ne s’intéressent qu’aux femelles et, faisant fi de toute validité statistique, ils en concluent à un effet négatif du maïs OGM sur la longévité. Mais si l’on s’intéresse aux mâles (toujours en négligeant la validité statistique) on pourrait tout aussi bien conclure à l’effet inverse. En effet, il y a 3 morts sur 10 dans le lot de mâles non traité et 1 seul sur 10 dans les deux lots nourris avec les plus fortes quantités de maïs OGM ! Séralini aurait pu conclure que plus on mange de maïs OGM et mieux on se porte ! Mais cette conclusion, semble-t-il, ne lui convenait pas !

On pourrait s’intéresser aussi au cas des animaux traités au Roundup où, chez les mâles, il n’y a qu’un seul mort sur 10 avec la plus forte dose de Roundup donc, ici aussi, 3 fois moins que dans le lot contrôle. Il aurait été amusant que Séralini en conclut que de fortes doses de Roundup sont bénéfiques pour la santé ! Mais cela non plus ne devait pas lui convenir !

Mais que reste-t-il donc de scientifique dans ce lamentable fatras ?

 

 

 

 

4 réflexions au sujet de « OGM et dérives médiatiques : une apothéose ! »

  1. Ping : OGM et dérives médiatiques : une apothéose ! La suite…… « Cercle Progressiste Carnussien

  2. « Cette généralisation montre bien, une fois de plus, que les plantes GM sont l’objet d’une vision quasi-superstitieuse, portant sur la technologie de transgénèse elle-même. Vision de gens qui oublient que tous les êtres vivants, des plus simples aux plus complexes, sont l’aboutissement d’un processus évolutif de près de 4 milliards d’années, où sont intervenus en permanence tous les mécanismes possibles de variation génétique : mutations, recombinaisons, mais aussi transgénèses et que, d’une certaine manière, tous les êtres vivants de la planète sont des OGM, humains compris bien sûr ».

    Pouvez-vous nous expliquer précisément ce qu’est la technique dite « transgénèse » que l’on peut comparer à l’autre technique dite « mutagenèse » ?

    Pouvez-vous nous démontrer en quoi les effets de celles-ci, obtenus sur une période relativement courte voire très courte, peuvent être comparés aux changements survenus sur tous les organismes vivants, par des voies naturelles dites « techniques traditionnelles d’amélioration des organismes végétaux ou animaux par croisements » ?

    Sachant que ces changements sont intervenus sur des temps très longs au cours desquels les défauts ou anomalies incompatibles dans le cycle naturel de la vie sont corrigés progressivement voire totalement éliminés.

    • Les réponses à vos questions sont déjà plus ou moins dans les autres articles de mon blog. Je vais donc éviter de trop répéter ce que j’ai déjà écrit pour ne pas rallonger inutilement ma réponse.

      La transgenèse consiste en un transfert d’un ou plusieurs gènes d’une espèce dans des individus appartenant à une autre espèce. Les deux espèces concernées peuvent être phylogénétiquement proches ou être des types d’organismes très différents (virus et plante ; virus et animal ; bactérie et plante ; bactérie et animal, ……).
      La mutagenèse est l’apparition de mutations in situ dans le génome d’individus d’une espèce, quelle qu’elle soit. Dans votre question, vous parler de « technique », ce qui laisse entendre qu’il ne s’agit que de modifications apportées par un expérimentateur, or les deux processus peuvent aussi se produire spontanément dans les conditions naturelles. La mutagenèse spontanée est même l’un des mécanismes essentiels (avec la recombinaison, mais aussi plus rarement la transgenèse) qui produit dans la nature la variabilité génétique qui sert de matériau à la sélection naturelle pour l’adaptation et l’évolution des espèces vivantes.
      Vous trouverez plus d’explications sur la mutagenèse dans mon article sur les « OGM cachés » et sur la transgenèse, dans l’article « OGM, fantasmes et réalités ».

      Votre deuxième question est d’autant plus importante qu’elle fait appel à des notions qui touchent aux mécanismes d’adaptation et d’évolution des espèces, en général très mal comprises par les non-spécialistes, elle me donne donc l’occasion de les préciser.

      D’abord, une remarque d’ordre général. Vous écrivez : « Pouvez-vous nous démontrer…. ». Soyons bien clairs : seuls les mathématiciens, qui travaillent sur des concepts abstraits, peuvent faire des démonstrations. Dans toutes les autres sciences, qui s’occupent de phénomènes bien réels, y compris la Physique, on ne démontre pas. On émet des théories et on essaie de les vérifier ou de les infirmer par l’expérience.
      Einstein n’a pas « démontré » la relativité. Il a établi la théorie de la relativité pour expliquer les faits que la physique de son époque ne pouvait expliquer et depuis les physiciens testent sa théorie. Darwin n’a pas « démontré » l’évolution par la sélection naturelle, il a proposé une théorie qui a été ensuite testée expérimentalement. Je ne vous « démontrerai » donc rien, je me contenterai de décrire ce que l’on sait.

      Votre dernière phrase est très révélatrice d’une certaine vision des phénomènes évolutifs, très répandue dans le grand public. Parlant des « changements survenus sur tous les organismes vivants par des voies naturelles »,vous écrivez  qu’ils « sont intervenus sur des temps très longs au cours desquels les défauts ou anomalies incompatibles dans le cycle naturel de la vie sont corrigés progressivement… ». C’est une conception qui est en relation directe avec la croyance très répandue en la « sagesse » de la nature, où des mécanismes seraient à l’œuvre pour que toutes les anomalies incompatibles avec ce que vous appelez le « cycle naturel de la vie » soient corrigées. Sous entendu : l’homme, lui, ne sait pas faire ça et joue à l’apprenti sorcier ! Cette vision des choses est purement imaginaire, la réalité est bien différente. Quitte à passer pour un provocateur, je dirais même qu’elle est à l’inverse !

      Pour plus de détails, je vous renvoie à mon texte « OGM, fantasmes et réalités » dont voici un extrait :
      « – Pour certaines familles de virus, dont les « rétrovirus » ( le plus connu est le virus du SIDA, mais beaucoup d’autres existent et ne sont pas forcément pathogènes ), l’insertion de leur génome dans les chromosomes de l’organisme infecté est une étape obligatoire de leur reproduction. C’est là aussi une transgenèse tout à fait spontanée. Des dérivés de ces virus ont été les premiers outils utilisés pour les essais de thérapie génique.
      Une fois inséré dans un chromosome, le génome du rétrovirus peut se reproduire. Il peut alors arriver qu’un génome ’fils’ incorpore accidentellement un gène de la cellule hôte; il est, à son tour, devenu  transgénique. Lorsqu’il infectera des cellules d’un nouvel hôte, il apportera avec lui ce gène qui se retrouvera alors en surnombre. Si le rôle normal du gène en question est de contrôler la reproduction des cellules ( on appelle ces gènes des « oncogènes » ou simplement Onc ), ce surnombre pourra déréguler les divisions cellulaires et aboutir à un cancer. On a donc là une double transgenèse, du virus et de l’hôte. C’est par ce mécanisme qu’un certain nombre de rétrovirus des oiseaux et des mammifères sont devenus cancérogènes.
      Une telle manipulation serait absolument interdite en laboratoire, même dans les conditions de sécurité les plus draconiennes. La transgenèse spontanée est du génie génétique « sauvage », personne n’en contrôle ni le mécanisme, ni les effets. Seul joue le hasard, qui ne connaît pas le principe de précaution ! »

      Ces virus transgéniques portant des gènes Onc ont été favorisés par la sélection naturelle, tout simplement parce qu’ils tirent bénéfice de la multiplication anarchique des cellules infectées, qui leur permettra de se multiplier eux aussi plus abondamment. Mais c’est bien sûr au détriment de leurs hôtes qui se retrouveront avec des tumeurs cancéreuses.
      Je pourrai aussi citer le cas du virus du SIDA qui diminue les défenses immunitaires de son hôte pour pouvoir aussi se multiplier plus efficacement.
      Mais on pourrait parler aussi de toutes les épidémies virales ou bactériennes. Le monde vivant est le théâtre d’une lutte perpétuelle entre hôtes et parasites, entre proies et prédateurs, etc…. Les seules forces en jeu sont des forces aveugles : d’une part les variations génétiques et d’autre part la sélection naturelle qui donnera l’avantage à celui qui se reproduit le plus efficacement… et tant pis pour ceux qui en seront les victimes ! C’est dur à admettre mais c’est ainsi. L’image de la « bonne mère Nature » (avec un n majuscule) relève du fantasme et, sans exagération aucune, d’une vision religieuse.

      L’espèce humaine n’a pu apparaître et s’implanter sur la planète que parce que sa nature éminemment sociale lui a permis de surmonter, en son sein même, ces forces aveugles pour les remplacer par l’entraide, la solidarité et la compassion. Elle ne pourra survivre qu’en développant ces comportements-là. Darwin l’avait très bien compris. Mais là, je suis hors sujet par rapport aux questions posées !
      Voilà donc des éléments de réponse à vos questions.
      Si elles ne vous paraissent pas satisfaisantes, n’hésitez pas à intervenir à nouveau sur ce blog.

  3. Ping : La saga tragi-comique des « OGM cachés » | Les pieds dans le plat

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