La principale raison d’être de ce blog étant de démystifier les « croyances, superstitions et dérives médiatiques » dans les domaines qui touchent à la Génétique, et ils sont nombreux, je me devais de signaler un livre qui va bien au-delà de ce champ de compétences et dont la lecture est à la fois agréable et stimulante, voire même très surprenante par moments. Il s’agit de « La démocratie des crédules » de Gerald Bronner. Cette lecture intéressera tous ceux qui veulent aiguiser leur esprit critique pour faire face à ces avalanches de croyances, plus délirantes les unes que les autres, auxquelles nous sommes confrontés en permanence avec les média et certaines ONG, surtout depuis le développement d’internet.
Ce livre est paru aux Presses Universitaires de France en mars 2013. L’auteur est professeur de sociologie à l’université Paris-Diderot et co-directeur du « Laboratoire Interdisciplinaire des Énergies de Demain » ( LIED ). Sa spécialité de recherche porte sur les croyances collectives, un sujet sur lequel il a déjà publié des ouvrages remarqués : « L’Empire des croyances » en 2003 ( PUF ) qui a reçu le prix Adrien Duvand de l’Académie des sciences morales et politiques et la « Pensée extrême » en 2009 ( Denoël ) qui a obtenu le prix européen des sciences sociales d’Amalfi. » La démocratie des crédules « , quant à lui, a reçu le prix de la Revue des Deux Mondes. Un beau palmarès !
L’idée de base de cet ouvrage est la suivante : on pouvait penser qu’avec l’augmentation du niveau général d’études et le développement fabuleux des moyens d’information, l’opinion collective sur les sujets importants dans nos sociétés serait de plus en plus fondée sur la raison et la connaissance. C’est ce que prévoyait d’ailleurs un rapport de l’UNESCO de 2005 « Vers les sociétés du savoir ». Or il n’en est rien et c’est même l’inverse qui se produit. Avec le développement d’internet, on assiste à ce que l’auteur appelle une « massification de l’information » où n’importe qui pouvant s’exprimer sans contrôle, on trouve tout et n’importe quoi, sur n’importe quel sujet. Chacun peut donc choisir ce qui lui parait conforter ses idées, même les plus délirantes, et les manipulateurs d’opinion (à visées lucratives ou non) peuvent s’en donner à cœur joie. Mais si internet a décuplé le brouillage informationnel, il n’est pas seul en cause. Tous les média généralistes, journaux et télévisions, en concurrence entre eux pour vendre ou faire de l’Audimat, jouent leur partition dans ce petit jeu et l’information se transforme en désinformation, même sur des chaînes de télévision publiques.
Cette inflation de croyances collectives pose un grave problème politique, car il ne peut y avoir de démocratie quand les citoyens ne disposent pas d’informations valables. Certaines élucubrations peuvent faire sourire et sont sans grand danger. Croire que la Terre est au centre de l’univers ne l’empêchera pas de tourner ! Qu’un prétendu fils de Michael Jackson dise avoir été violé par Sarkozy… bof ! Par contre quand il s’agit de croyances antiscience ou technophobes, qui peuvent concerner d’importants problèmes économiques ou sanitaires (vaccins par exemple), c’est beaucoup plus inquiétant, car il peut y avoir (et il y a effectivement !) des catastrophes à la clé.
Je ne détaillerai pas le contenu de cet ouvrage, je renvoie à deux vidéos accessibles sur internet. L’une d’une vingtaine de minutes où Gérald Bronner présente son livre sur France-inter en mars 2013,
l’autre où il développe ses idées (en insistant plutôt sur le rôle d’internet) lors d’une conférence grand public à l’Institut d’Astrophysique de Paris en avril 2014 (1 heure plus 30 minutes de discussion).
Pour ajouter une note plus personnelle sur les questions soulevées par G. Bronner et faire le lien avec certains articles de ce blog, je voudrais faire remarquer que cette débauche d’« informations » a des effets pervers très inquiétants. En effet, quand une croyance imprègne largement l’opinion publique, elle devient pensée unique et en arrive à peser sur les pouvoirs eux-mêmes : pouvoir médiatique, politique et même judiciaire. On a déjà des exemples pour chacun des trois.
1) Tout fait réel qui va à l’encontre de cette croyance, est considéré par les média comme « politiquement incorrect » et fait l’objet d’une omerta. En agroalimentaire, la population peut être ainsi incitée à consommer des produits potentiellement nocifs sans en être informée le moins du monde, on en a une illustration dans l’article de ce blog : « Le maïs, le petit papillon… ».
2) L’expérience montre que des politiciens de tout bord peuvent enfourcher certaines croyances par démagogie électorale (même quand ils savent pertinemment qu’elles sont fausses) et aller jusqu’à prendre des décisions en conformité avec elles, contre le véritable intérêt public (même article que ci-dessus). Pour reprendre une fois encore une expression célèbre de Talleyrand : « En politique, ce qui est cru est plus important que ce qui est vrai ». C’est ce que certains appellent la « démocratie d’opinion » ! 3) La relaxe des destructeurs de recherche publique par la Cour d’Appel de Colmar sur des bases scientifiques erronées.
Tout cela a de quoi inquiéter et mériterait de solides réflexions. D’ailleurs, le dernier chapitre du livre de G. Bronner s’intitule : « Que faire ? De la démocratie des crédules à celle de la connaissance ». Vaste débat qui n’est pas près d’être clos et n’engendre pas forcément l’optimisme !
Addendum : Gérald Bronner vient de publier, en septembre 2014, un nouveau livre dont le titre est : « La planète des hommes« , et le sous-titre : « Réenchanter le risque« . Son propos est de démystifier les fantasmes du courant antiscience et de l’idéologie de la peur, en montrant les dangers (bien réels eux !) qui en découlent, par exemple à propos de la vaccination. Il se livre à une intéressante critique des idées de Hans Jonas, publiées dans son livre « Le principe responsabilité » paru en 1990. Je n’en dirai pas plus ici, je renvoie au site de l’éditeur pour une présentation plus complète.