Comme on peut s’en douter à la lecture du titre, ce texte est écrit sur le mode humoristique, je ne vois pas d’ailleurs de quelle autre façon pourrait être traité un pareil sujet même si, tout compte fait, ce qui en ressort n’est pas vraiment réjouissant. Comme dit la chanson de Jean Ferrat : « Faut-il pleurer, faut-il en rire ? … ». A chacun de juger.
ADN partout
Depuis quelques temps, comme tout le monde a pu le remarquer, on entend parler constamment de gènes et d’ADN à propos de tout et n’importe quoi, surtout dans les médias et la publicité. Qui n’a pas entendu l’expression : « c’est dans son ADN » ? Soit à propos de tel ou tel parti politique ou association, à propos de tel artiste ou orchestre connu ou de telle ou telle firme industrielle, ». Je me souviens même avoir entendu un journaliste parler de l’ADN du climat [1]! Quand il s’agit de publicité, c’est bien sûr pour vanter les qualités d’une marque, qui lui seraient génétiquement, donc indissolublement, associées.
L’acide désoxyribonucléique, pour le nommer par son nom, est ainsi devenu le dernier dada en vogue des milieux du journalisme et de la publicité commerciale. On peut bien sûr se dire que ce n’est qu’une image, une métaphore génétique, renforcée par l’influence des séries policières télévisées, où les « tests ADN » sont monnaie courante, et s’en amuser. On peut même en conclure, en se laissant aller à l’optimisme, que c’est le signe d’une connaissance scientifique de mieux en mieux partagée ; en ces périodes de forts courants antiscience ce serait plutôt rassurant. A voir ! Le fait de répéter à satiété les derniers clichés à la mode est-il vraiment un signe de culture scientifique ? Ces journalistes et publicitaires ont-ils vraiment compris ce dont ils parlent ou sont-ils plutôt dans le rôle du perroquet, comme trop souvent ?
Remarquons aussi que ces clichés ne sont pas neutres et qu’une fois de plus les gens des médias et du marketing font dans l’idéologie et nous ressassent les idées les plus conformistes. On ancre dans la tête des auditeurs l’idée que tout est écrit, dans l’ADN de surcroît, (c’est plus scientifique que les Saintes Écritures !), donc immuable. Avec cet habillage biologique on se retrouve, dans le domaine des comportements humains, dans la vieille idéologie héréditariste dont un chef d’État se faisait, il n’y a pas si longtemps, le grand défenseur à propos de la pédophilie et des pulsions suicidaires qui auraient été, selon lui, génétiquement déterminées. On nous expliquait même qu’il fallait déceler les tendances dangereuses le plus tôt possible, dès l’âge de trois ans, ce qui avait fait réagir nombre de généticiens. Cette idéologie du tout génétique est régulièrement mise en avant par ceux qui bénéficient des injustices sociales de notre société. Il y a encore un siècle, on les justifiait par la volonté de Dieu, maintenant on préfère invoquer l’ADN, c’est plus moderne et plus politiquement correct !
ADN nulle part
Ce qui précède est bien banal et ne présenterait guère d’intérêt pour ce blog si on ne se trouvait, en même temps, confronté à des idées qui sont à l’exact opposé de cette nouvelle mode. En d’autres termes et pour simplifier, il y aurait de l’ADN partout, sauf là où il y en a nécessairement, c’est à dire chez les êtres vivants.
C’est ce qui ressort d’une enquête réalisée par le Département d’Économie Agronomique de l’Université de l’Oklahoma que j’ai découverte par twitter (merci Julie Scha et Catherine Dagorn). Cet organisme scientifique effectue des sondages mensuels sur des questions agroalimentaires, réalisés suivant les règles habituelles : échantillons d’au moins 1000 personnes représentatives de l’ensemble de la population des USA en termes d’âge, de genre, de niveau éducatif et de région de résidence. L’enquête qui nous intéresse ici est en date de janvier 2015. L’un de ses buts consiste à demander aux gens s’ils seraient d’accord ou opposés à une réglementation gouvernementale sur 10 sujets agroalimentaires. Deux des questions intéressent directement la génétique.
L’une demande aux sondés s’ils souhaitent un étiquetage obligatoire des aliments produits par génie génétique, c’est à dire les OGM. La réponse est « oui » à 82%. Jusque-là rien de bien surprenant, on sait déjà que les fantasmes anti-OGM, qui ont pris naissance en France et quelques autres pays européens, il y a une vingtaine d’années, ont depuis traversé l’Atlantique et contaminé les USA. La surprise est dans l’autre question, elle est étonnante par elle-même, mais plus encore par les réponses qui sont données et qui ont de quoi plonger n’importe quel biologiste dans un abîme de perplexité.
Question : Êtes-vous d’accord pour un étiquetage obligatoire des aliments contenant de l’ADN ? Réponses : oui à 80% !!! Les mêmes, sans doute, que ceux qui souhaitent un étiquetage des OGM.
Que peut donc signifier un pareil résultat ? La première réaction est de penser à un poisson d’avril, mais en janvier c’est peu probable ! En fait, une seule conclusion s’impose : 80% des sondés ne savent pas que l’ADN est un constituant absolument essentiel de tous les êtres vivants, dont évidemment les végétaux et animaux qui constituent notre alimentation. Les boissons sont incluses car elles contiennent toujours des micro-organismes donc de l’ADN (même l’amour et l’eau fraîche seraient concernés par ce type d’étiquetage !). L’organisme enquêteur ne fait aucun commentaire particulier, sinon que « c’est curieux ». Bel euphémisme !
Il faut être prudent avec les sondages et, dans ce cas précis, il faudrait en savoir plus sur la façon dont les questions ont été posées. Mais d’après les informations techniques données, il semble que ces enquêtes soient faites de façon très professionnelle. Si cette réponse n’avait été donnée que par une petite minorité des personnes interrogées on pourrait effectivement supposer un biais dans la présentation de la question, mais avec 80% de « oui », cette explication ne tient pas.
Alors bien sûr, on peut objecter que ce sondage a été réalisé aux USA un pays où, selon une enquête IPSOS de 2011, les créationnistes constituent au moins 40% de la population (avec 32% d’hésitants). Cela peut influencer leur vision des êtres vivants. Après tout, si les espèces ont été créées indépendamment, pourquoi auraient-elles toutes de l’ADN, Dieu aurait-il manqué d’imagination ? De toutes façons, créationnisme ou pas, il n’en reste pas moins que cette enquête révèle une très inquiétante ignorance des notions les plus élémentaires de biologie et que cela pose un très sérieux problème de diffusion de la culture scientifique. Il ne faut pas s’étonner si les courants antiscience prospèrent, devant une ignorance aussi abyssale ils jouent sur du velours.
Il reste quand même à se demander pourquoi les enquêteurs ont posé une pareille question. La réponse paraît évidente : c’est une question-test, comme il y en a souvent dans les sondages. Elle va de pair avec celle sur l’étiquetage des aliments OGM et permet de tester le degré de fiabilité des réponses à cette dernière. La conclusion est sans appel : fiabilité proche de zéro ! A partir du moment où on ne sait pas que tous les êtres vivants possèdent de l’ADN et donc que l’on ignore le rôle biologique fondamental de cette molécule, il est exclu que l’on puisse comprendre ce que sont les OGM et donc que l’on puisse avoir une réponse pertinente sur la nécessité ou non de leur étiquetage alimentaire.
Mais les USA seraient-ils les seuls concernés par ce problème de culture générale ? Il aurait été intéressant d’avoir la même enquête en Europe où les créationnistes ne représentent en moyenne que 10% de la population. Quand on sait qu’en France certains croient que les plantes transgéniques contiennent un seul gène (le transgène), les plantes non-transgéniques n’en ayant aucun[2], ou que des gens cultivés ne savent pas que toutes les cellules de leur corps possèdent des chromosomes, ou encore quand on voit les absurdités biologiques que certains sont capables de dire et écrire sur les soi-disant « OGM cachés » (voir l’article sur ce sujet), on n’est pas convaincus que la réponse serait très différente et que le problème de la culture scientifique ne soit pas tout aussi crucial en Europe qu’aux USA.
- Je ne résiste pas au plaisir de signaler une perle entendue le 10-04-2017 sur Radio Classique à propos du festival de Pâques d’Aix-en-Provence : « Le séquencement (sic!) de l’ADN du festival »; joli non ? ↑
- Un biologiste grenoblois me signale qu’il a vu sur un marché un agriculteur vendant des salades avec un écriteau : « garanties sans ADN « . ↑