Les activistes de l’antiscience

L’article de ce blog « OGM : fantasmes et réalités », écrit pour l’essentiel en 2008, manifeste des inquiétudes, largement partagées dans la communauté scientifique, toutes disciplines confondues, sur la montée en puissance des courants antiscience. L’arrachage, à deux reprises, de vignes faisant l’objet d’expérimentations au centre de Colmar de l’Institut National de Recherche Agronomique (INRA), un organisme public, confirme malheureusement le bien fondé de ces craintes.

Mon propos ici est de faire ressortir ce qui me parait être la véritable signification idéologique de cette affaire, dans un contexte où se manifeste une inquiétante dérive du courant anti-OGM le plus extrémiste. Nous y reviendrons d’ailleurs dans un autre article, sur les soi-disant « OGM cachés ».Je serai bref sur les aspects scientifiques et techniques de ces essais qui ont déjà fait l’objet de communications détaillées et de commentaires disponibles sur internet.

L’expérimentation de Colmar était destinée à tester une nouvelle méthode potentielle de lutte contre le « court-noué » chez la vigne. Cette maladie est provoquée par deux virus très apparentés : le Grapevine Fan Leaf Virus (GFLV) et l’Arabis Mosaïc virus (ArMv) souvent confondus dans les articles de vulgarisation. Ces deux virus se retrouvent sur près de 70% des parcelles viticoles et 30% manifestent la pathologie. La baisse de production peut être forte, l’INRA estime que les pertes annuelles se situeraient entre 350 et 850 millions d’euros. Ces virus sont transportés par de minuscules vers du sol, des nématodes (Xiphinema index) qui s’alimentent sur les racines de vigne, c’est par cette voie qu’ils acquièrent et transmettent les virus. Aucune méthode curative n’est connue, comme c’est très généralement le cas pour les infections virales. Des méthodes de lutte chimique contre le nématode existent mais sont très polluantes, on ne peut agir que de manière préventive, essentiellement en plantant les vignes dans des sols sans nématodes. Pour plus de détails voir les dossiers de l’INRA.

Depuis 2001, le centre de Colmar avait lancé un programme de recherche pour tester la possibilité de combattre l’infection en utilisant des portes greffes résistants obtenus par transgenèse. Cette recherche s’effectuait en collaboration notamment avec le centre INRA  de Sophia-Antipolis (où existe un excellent laboratoire spécialisé dans l’étude des nématodes).

La grande originalité de cette recherche était sa démarche de transparence et de démocratie, qui en faisait une expérience tout à fait pionnière dans les rapports science-société. Les protocoles et le suivi des expériences ont été réalisés par un comité local de suivi (CLS) extrêmement ouvert. Il comprenait 16 personnes, dont des élus locaux, un membre de la Confédération Paysanne  (opposée a priori aux OGM quels qu’ils soient), ainsi que le propriétaire d’un champ voisin de la parcelle d’expérimentation et seulement deux scientifiques impliqués dans le projet.

Parallèlement, toujours en co-élaboration avec le CLS, la station a également initié une voie de recherche alternative par jachère biologique.

Cette procédure était vraiment tout à fait exemplaire du point de vue démocratique. Elle a été vécue de façon très positive par les participants, au point qu’ils ont publié un article dans une revue scientifique internationale « PLoS Biology », co-signé par le CLS et les chercheurs.

En septembre 2009, l’essai en champ a été partiellement détruit par un individu, ce qui a valu de nombreuses réactions de soutien au CLS, venant de partis politiques et associations très diverses. Malgré un renforcement de la protection, l’essai a été de nouveau détruit, pendant la rédaction de l’article scientifique, le 15 août 2010. Soixante cinq militants « faucheurs volontaires » sont entrés par effraction dans la parcelle et ont arraché les 70 pieds de vigne de l’essai. Pour les chercheurs, c’était 8 années de travail anéanties; pour le comité de suivi, c’était l’échec d’une expérience très innovante sur la transparence démocratique des recherches en biotechnologie.

Le CLS et les chercheurs ont reçu de nouveau de nombreuses manifestations de soutien, seuls quelques individus et organisations se sont efforcés de justifier ce saccage [Justifié également  par Europe Ecologie Les Verts suite au verdict de la Cour d’Appel de Colmar en mai 2014 relaxant les auteurs de ces actes – jugement cassé par la Cour de Cassation le 5 mai 2015 car dénuée de base légale].

On pourra trouver sur le web un texte d’un responsable de la Confédération Paysanne tentant de justifier cet arrachage, avec des arguments assez surprenants (c’est un euphémisme !) pour tout généticien un tant soit peu compétent. Il s’y ajoute aussi un procès d’intention, à la limite de la diffamation, sur les véritables motivations de l’INRA. On pourra lire aussi un texte des arracheurs « justifiant » leur acte.

Quelles leçons tirer de cette affaire ?

Tout d’abord, un constat d’incohérence, sur deux points :

1) L’un des principaux arguments des opposants aux OGM est, depuis le début, la mainmise des multinationales semencières sur l’agriculture de la planète. Or les destructions répétées d’essais de recherches publiques ont abouti à supprimer celles-ci en France. Il faut pourtant savoir que l’INRA est le premier organisme européen de recherche agronomique et le deuxième au monde. Il représente donc une force de recherche considérable et l’a abondamment prouvé depuis sa création, après la seconde guerre mondiale. Empêcher ses recherches sur les biotechnologies revient à laisser le champ libre aux Monsanto, Pioneer, Bayer et autres, aussi bien pour l’Europe que pour des pays du tiers-monde avec lesquels les agronomes français ont, de longue date, des collaborations fructueuses.

2) Un autre des arguments toujours avancé par les opposants est le manque de transparence des recherches sur les OGM. Or dans le cas des essais de Colmar, le CLS était non seulement informé en permanence, mais il participait pleinement à la conception des protocoles expérimentaux, ce que l’INRA a dénommé : « l’évaluation technologique participative ». On allait donc bien au-delà de la simple transparence, au point que certains chercheurs y ont vu une  inquiétante perversion de la démarche scientifique.

Il est tout à fait clair que sur ces deux points, le résultat des arrachages va exactement à l’encontre des buts proclamés. Il est donc maintenant tout à fait clair qu’il ne s’agit que de faux prétextes et que c’est ailleurs qu’il faut chercher les véritables motivations de ces actes.

On est clairement en présence d’une double motivation. D’une part, les arracheurs et leurs soutiens se situent dans une position foncièrement hostile à la connaissance, puisqu’il ne s’agissait que de recherche. Comme dans toute recherche, personne ne pouvait préjuger des résultats, ceux-ci pouvant s’avérer en faveur ou en défaveur de cette méthode de transgenèse. D’autre part, ils sont dans un véritable déni de démocratie, n’hésitant pas à utiliser la force pour empêcher tout dialogue.

Que cela plaise ou non, force est de constater que ce sont ces deux mêmes ingrédients qui caractérisent aussi les intégrismes religieux : ils ne veulent rien savoir hors de leurs croyances et font tout pour empêcher les autres de savoir.

A quand des créationnistes allant saccager des laboratoires de recherche sur l’évolution ? Je ne fais pas ce rapprochement au hasard. Il y a des analogies de plus en plus flagrantes entre la vision créationniste du monde vivant et celle des anti-OGM les plus radicaux. Comme je le disais au début  de ce texte, nous aurons l’occasion d’y revenir dans un prochain article, car si ces gens viennent de franchir, avec cet arrachage, un nouveau pas lourd de signification contre le principe même de la connaissance scientifique, ce n’est malheureusement pas le seul. Il y a encore plus inquiétant avec leur nouvelle invention : les « OGM cachés ».

Les chemins de l’antiscience sont pavés d’irrationnel et d’obscurantisme, des attitudes mentales à partir desquelles le pire est toujours possible. L’Histoire l’a abondamment montré.

2 réflexions au sujet de « Les activistes de l’antiscience »

  1. Bravo pour ce texte qui vient compléter le précédent (OGM : fantasmes et réalités). Ils sont pour moi , maintenant , beaucoup plus accessibles et plus parlants .

  2. @ Roger
    Cette affaire de destruction des expérimentations de l’INRA à Colmar vient de connaître un rebondissement inquiétant. Le tribunal correctionnel de Colmar avait condamné les faucheurs en octobre 2011 et la Cour d’Appel vient de prononcer la relaxe, sur des bases assez incroyables où les juges se transforment en experts scientifiques. La réaction des milieux scientifiques a été immédiate, les directeurs de 12 organismes nationaux de recherche ont rédigé un texte de protestation, soutenus par la ministre de la recherche. On trouvera cette lettre sur le site :
    http://www.cirad.fr/actualites/toutes-les-actualites/articles/2014/institutionnel/faucheurs-de-colmar-recherche-et-universites-alertent-leurs-concitoyens. L’Académie d’agriculture a également réagi dans le même sens.
    Le parquet de Colmar a immédiatement posé une requête en cassation.
    Ce cas est un superbe exemple de la colossale influence des lobbies anti-OGM en France et, par là même des courants antiscience, avec la complicité active de quelques chercheurs incompétents et hypocrites. Même les milieux judiciaires sont touchés. A quand le saccage du Muséum d’Histoire Naturelle par des créationnistes avec la bénédiction des juges ? Affaire à suivre.

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